Aloe Vera

Lettre de Aloe Vera:

A ma chère et détestable famille...

Je suis bien arrivée à Blodford, même si, sans aucun doute, vous vous en moquez éperdument, mais pour l'Histoire (et avec un grand H, je précise), je me dois bien d'écrire cette lettre, car quand la célébrité se sera emparé de ma personne, une lettre ne sera pas de trop pour ma biographie, posthume, hum...

Ici, c'est morne, c'est gris, je vis dans une pension miteuse, faute de moyens, ou d'envie de changer.
Mon moral en pâlit, et mon boulot est à l'image que j'ai de cette ville.
Malgré tout, toutes ces épreuves auront finalement bon fond, comme image tout du moins, une artiste maudite se suicidant à la suite d'une vie bien morne.

Je ne sais pas pourquoi mes pas m'ont menés ici, mais me voici installée, et je doute de repartir avant un bon moment, de toute façon, ici ou ailleurs... Tout semble pareil dans ce pays, on m'avait parlé de la Nouvelle-Angleterre comme un lieu où tout était possible, le self made man, ou quelque chose du genre. Mais on ne devient ce que l'on veut devenir seulement au prix d'une grande volonté... Ou d'un corps le voulant bien. Peste soit de mon corps si faible, peste soit cette nature si ingrate qui en échange d'une triste et réel intelligence, m'a affublé de ce corps si faible.

Ne désespérons point, voyons. C'est bien la seule chose que vous m'ayez appris, savoir qu'il y a toujours meilleur pas loin de nous, et ça nous force à nous lever.
Je vais essayer de me trouver un lieu meilleur, peut être un meilleur boulot, si je prend le temps, ou l'envie, de fureter de ci de là, je trouverais certainement quelque chose, sûrement bien mieux que ce que je peux avoir en ce moment.

J'attends l'inspiration, peut être une muse, qui sait? Pour le moment, ma plume me reste en main, devant une feuille bien blanche, trop blanche...
L'horreur de la panne sèche, ou bien même l'écrivaine en manque d'inspiration, la crainte d'une perte définitive de celle-ci, c'est ce qui doit être pire dans cette vie.
Cette ou sept? Je m'égare, ainsi, l'espèce des artistes rejoindrait celle des félins? Amis à moustache, levons bien haut nos pattes et tendons une griffe acérée envers cette société!

Cette vie, et sept vies, doivent bien expliquer ce taux de mortalité si élevé dans mon cher et tendre milieu.
Comme mon cher frère d'ailleurs, celui que l'on a retrouvé pendu dans la grange, en face d'une peinture inachevé, en face d'esquisse et de croquis, ce pauvre, il ne savait pas qu'il allait bientôt faire la plus grande œuvre de sa vie...
Ou alors la destinée de l'artiste maudit s'est révélé vrai et les ventes des œuvres sont bien meilleures une fois l'artiste mort, peut être un certain attrait des acheteurs par la mort, qu'il est mieux vu de dire que cet artiste est mort, et se dire qu'il ne produira plus rien, et donc rien qui ne pourra surpasser notre acquisition...

J'hésite à me faire passer pour morte, je pourrais bien mieux vendre mes écrits.
Ne vous inquiétez pas, je vous reviendrais! En chair, en boîte ou en cendre, rien que pour vous déplaire!

Mille baisers de feux, en espérant que vous vous y brulerez...
Votre haïssable fille, Aloé Vera